La Co-est vide, connexion vide.
Vous ne le savez sûrement pas mais je suis une illustratrice frustrée, qui a eu l’étrange besoin un jour de se sentir plus utile dans ce monde. Que faire de mieux pour être utile que de soigner. C’est alors, il y a 5 ans, j’ai remit les pieds dans une salle de classe et enfilé la tenue d’aide-soignante. En seulement 10 petits mois et d’innombrables expériences en stage, mon voeu était exaucé. Mais à la découverte du don de soi par le soin je me suis heurtée à la « connexion vide ».
Je crois qu’il est temps de vous expliquer le râle permanent du soignant. Par définition, il y a certes le verbe « râler », je le concède, mais avant cette tournure arrangeante presque argotique, il y a le vrai sens du mot râle. Un râle c’est le dernier souffle de l’agonisant. Je pèse bien mes mots. En médecine c’est un son que l’on entend dans les poumons qui généralement annonce rien de bon.
Lorsque j’ai eu cette folle idée d’aider mon prochain, je ne savais pas à quel point j’allais en ressortir abîmée, meurtrie, brisée. Je connaissais le métier car je l’avais exercé en tant que faisant fonction dans des Ehpad, mais le service de soin en clinique est bien loin de ces lieux mal décorés pour vieux.
Le service de soin ne se contente pas que d’étiqueter de l’humain, il les entasse, les numérote, les déshumanise. C’est un travail à temps plein que de tirer sur la corde d’âmes généreuses qui sont bien les seules à faire grève tout en travaillant !
Il est bien difficile de faire comprendre à une personne extérieure du milieu du soin la violence que l’on peut recevoir en service, les épaules que cela demande, et l’intelligence de savoir comment porter tout ce merdier. Quand vous passez d’une chambre où se bat une femme de 40 ans, qui a deux enfants en bas âge, à qui on a diagnostiqué il y a 3 semaines à peine un cancer du pancréas, qui a déjà perdu 10 kg et qui se met des oeillères pensant qu’elle pourrait gagner ce combat, à la chambre de ce garçon de 27 ans qui a le cou complètement déformé par des ganglions disproportionnés, qui pleure à la vue d’une seringue, ce jeune homme qui a fui en Inde, le plus loin possible, le lendemain de son diagnostique et qui est à présent face à sa réalité, son corps est bel et bien malade et il a perdu 6 mois de combat, et à cette femme, oh cette femme, avec ses cheveux blancs qui ne dépassent pas le centimètre, son regard si doux et bienveillant, son sourire dans lequel on rêverait de se lover au milieu de ce visage amaigrit et marqué par la chimio, cette femme qui se bat pourtant depuis des années, qui avait pensée gagner et finalement est rattrapée par ce vicieux cafard qu’est le cancer, cet infâme chose qu’à la vue de cette femme j’aurais aimé piétiner et jeter le plus loin possible d’elle. Au bout du couloir il y a aussi cette femme noire, si belle avec ses cheveux courts, qui accompagne son mari et qui demande à chaque passage s’il y a toujours du sang dans les selles de son bien aimé, elle agit presque comme une aveugle, c’est un peu comme si le miroir ne reflétait que lui, elle, où a-t-elle disparue ? Quand la mort va venir, comment va-t-elle gérer sa propre réapparition ?
C’est pendant 12h, à chaque nuit, que mes pas, passaient, d’une chambre à l’autre, d’une histoire à l’autre, d’un drame à l’autre. Malheureusement, dans certains services de soin, il y a plus de « merdes » que dans d’autres, et ce n’est pas un mauvais jeu de mot qu’on attribut à l’aide-soignant en général. Si cette fonction ne se résumait qu’à ça, ce serait certainement plus simple !
Il est dit que les infirmiers et aide-soignants passent le plus de temps avec les patients que le médecin, le psy et le kiné réunis. En réalité, nous passons notre temps à courir pour avoir un peu plus de temps avec eux. Etre soignant, ce n’est pas ce qu’on voit de nos jours sur les réseaux sociaux ou ce qu’on entend aux infos qui font du covid un spectacle bien médiocre, être superman où avoir je ne sais quels pouvoirs.
Etre soignant, c’est plutôt avoir la faculté de faire une somme gigantesque de choses à la fois pour réussir à obtenir quelques précieuses minutes pour écouter La femme qui a peur de laisser ses enfants grandir sans maman, Le jeune qui pleure, pourtant avec du temps, c’est promit il ne sentira pas l’aiguille entrer, que la blouse de droite fera diversion et que celle de gauche sera si douce qu’il sera étonné de ne rien sentir et n’aura plus peur par la suite d’un petit bout de métal qui représente tant, avoir juste quelques minutes pour dire à Cette femme et à son sourire si doux, qu’à chaque fois que j’ai passé cette porte c’était comme si nous échangions les rôles, elle était comme un ange pour moi, avoir juste quelques minutes pour oser lui dire ça en lui tenant la main et pas en courant, et dire aussi à Cette femme qui s’est oubliée qu’elle a le droit d’avoir des cheveux, que ce n’est pas elle qui est malade et sous chimio.
Etre soignant, cela veut dire, prendre soin de, et de nos jours, la course n’est pas à construire des services humains où on parle du Care, non, nous en sommes si loin de ce Care, on court à l’ouverture de lits et à la fermeture d’autres, pour des histoires de rendements. Nous rêverions que ces minutes se divisent aussi vite qu’un virus en pleine mutation, tant nous sommes si peu pour un tel nombre de patients.
Des êtres humains, qui ont, à ce moment précis de leur vie, grandement besoin de toute l’empathie et toute l’intelligence de la personne qui va le soigner, qui va prendre soin de lui, et non pas un robot qui est plus occupé à calculer les soins des 3 chambres suivantes.
Ce râle, c’est un bruit d’agonie, lorsque nous nous engageons dans un métier où il faut avoir la force de gérer de tels merdiers, nous voulons le faire humainement, ce n’est pas un métier comme les autres, on est pas en train de vendre un produit. Tenir la main à une personne qui est en train de perdre la vie, ce ne peut se faire en courant dans tous les sens ou en étant préoccupé par le temps que l’on perd à tenir cette main !
Il faut que vous compreniez que ces mains, ce sont celles de vos grands-parents, vos parents, votre frère, votre soeur, votre enfant, la votre peut-être. Nous sommes tous mortels, tous fragiles, tous un jours amenés à être malades. Et ce jour là, je vous assure, que vous pèserez l’importance d’avoir une âme encore capable de prendre soin de vous et non pas une âme aliénée, dépassée, qui n’a pas eu d’autres choix que de se résigner ou d’abandonner.
Ce râle, est soi disant entendu depuis des années et même en ce moment, en période de Covid, où nous pensions que la connexion pourrait à nouveau s’établir avec le système, nous nous rendons compte que c’est pire encore. La connexion est vide. Nous sommes appelés, mis en danger, avec trop de patients à la fois, c’est notre conscience qui est piétinée. Trop de patients veut dire que l’on va faire des erreurs car ce sera la course, des erreurs qui risquent de contaminer d’autres patients et nous-mêmes. Je peux vous l’assurer, que pour l’avoir vécu, vous êtes dans un drôle d’état quand vous rentrez d’une nuit de 12h, que vous êtes à 3 nuits comme ça, que vous avez 20 patients contaminés, tous à risque, et que par manque de temps et d’effectif vous vous êtes non seulement certainement contaminé vous même, mais la question qui raisonne en vous est bien : combien en avez vous mis d’autres en danger ?
Je crois que notre monde, qui en passant n’a jamais été autant connecté par les réseaux sociaux, n’a jamais été aussi déconnecté de son humanité.
La Co-est vide depuis bien avant 2019.
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